Entretien avec Lise Musset et Stéphane Pelleau, chercheurs en parasitologie à l’Institut Pasteur de la Guyane : « projet PlasmoDynEvol »

PlasmoDynEvol (The adaptative value of a novel marker of drug susceptibility in Amazonian Plasmodium falciparum parasites) est un projet sélectionné lors de l’appel à projet annuel du CEBA 2014.

S. Pelleau L. Musset
Propos recueillis le 28 août 2014
LabEx CEBA : Quel a été votre parcours ?
Stéphane Pelleau: J’ai fait un master recherche à l’Université Paris V en parasitologie. A la suite de cela, j’ai fait une thèse sur le paludisme*, sous la cotutelle de l’Université de la Méditerranée et de l’Institut Pasteur de Dakar, sur l’implication de certains éléments du système immunitaire dans la gravité de la maladie. Puis je suis resté un an à l’Institut de Recherche Biomédicale du Service de Santé des Armées en tant qu’ingénieur, pour étudier la résistance des parasites aux antipaludiques. Je continue à travailler sur cette thématique en post-doctorat depuis 2012 au sein de l’Institut Pasteur de la Guyane (IPG), qui héberge le Centre National de Référence du Paludisme (CNRP), laboratoire associé pour la région aux Antilles-Guyane en post-doctorat.
Lise Musset : J’ai passé mon bac au lycée Félix Eboué à Cayenne, puis j’ai fait des études de pharmacie à Reims, puis une thèse sur le paludisme et la résistance aux antipaludiques à l’Université Paris V, rattachée au laboratoire de Parasitologie de l’Hôpital Bichat-Claude Bernard. Après cela, j’ai réalisé mon post-doctorat à l’Université Columbia à New-York, dans un laboratoire spécialisé lui aussi dans l’étude des résistances aux antipaludiques. J’ai été recruté à l’IPG fin 2007 au poste que j’occupe actuellement.
 
L.C. : Quelle est votre thématique de recherche ?
S.P. : Nous avons la même thématique de recherche qui est de comprendre les mécanismes de résistance développés par les différentes espèces de parasites présentes en Guyane** à diverses molécules antipaludiques. Nous menons aussi des travaux connexes liés aux activités du CNRP.
L.M. : Oui, plus largement, il s’agit d’une activité de surveillance de la sensibilité des parasites aux antipaludiques. Concrètement au laboratoire, il s’agit de mettre en contact des parasites avec des molécules antipaludiques, à différentes doses, et de regarder quelle dose permet de tuer les parasites. Cette opération est effectuée en routine depuis plusieurs années, ce qui nous permet d’avoir un recul sur l’évolution dans le temps de la sensibilité des parasites. En parallèle, nous caractérisons les parasites au niveau génétique.
 culture P.falciparum_3

Culture Plasmodium falciparum © IPG

L.C. : Dans quelle question scientifique le projet PlasmoDynEvol s’inscrit-il ?

S.P. : Plasmodium falciparum parvient à développer des résistances à tous les antipaludiques qu’on lui oppose. C’est donc une véritable course contre ce parasite. Différentes molécules antipaludiques ont été ou sont utilisées pour le traitement du paludisme en Guyane. La chloroquine est l’une d’entre elle. Elle a été utilisée pendant une 40aine d’années pour traiter le paludisme à Plasmodium falciparum, puis abandonnée dans les années 90 car les parasites étaient devenus résistants à la molécule. On a beaucoup de recul sur ce traitement, c’est donc le meilleur modèle pour étudier les phénomènes d’adaptation. Cette résistance résulte d’une mutation génétique*** chez le parasite. Quelques années plus tard, on s’est aperçu que les populations de parasites étaient redevenus sensibles à la chloroquine, non pas par réémergence des souches sensibles originelles, mais par acquisition d’une seconde mutation permettant d’annuler l’effet de la première. Dans le domaine, c’est un phénomène original. En fait, les parasites guyanais ont suivi leur propre voie ! D’une façon générale, le projet tente ainsi de comprendre comment les résistances apparaissent et disparaissent.
L.M. : L’objectif du projet est de comprendre pourquoi et comment les souches doublement mutées sont devenues majoritaires aujourd’hui. Quels sont les facteurs, internes, externes et quel est l’avantage qu’elles ont par rapport aux autres qui leur permet cette dissémination ? Ces souches se multiplient-elles plus vite ? Leurs descendants sont-ils plus nombreux ? Se transmettent-elles mieux aux moustiques (vecteurs de la maladie) ?
 
L.C. : En quoi la Guyane est-elle un site d’exception pour l’ancrage de votre projet ?
S.P et L.M. : Ce type de « double mutation » n’a été observé qu’en Guyane. La Guyane est donc forcément la zone d’ancrage du projet. Le grand avantage également est que l’IPG héberge le CNRP, ce qui permet d’avoir une stabilité de la recherche sur cette thématique dans la région et donc de s’appuyer sur i) une large collection de souches, ii) des études et résultats déjà produits. Cela nous donne un recul sur les souches de parasites qui circulent depuis les années 90 dans la région, une temporalité qui existe rarement dans les autres régions endémiques. Par ailleurs, nous travaillons en partenariat avec les centres de diagnostic de toute la Guyane qui nous envoient leurs prélèvements régulièrement. Nous étudions donc des souches guyanaises « naturelles ».
 
L.C. : En quoi ce projet est-il innovant pour la recherche sur la biodiversité terrestre tropicale ?
S.P. : Ce projet est innovant car on s’intéresse à une mutation qui n’avait jamais été étudiée auparavant et un phénomène qui n’a été observé pour le moment que dans la région.
 
L.C. : Le projet implique t-il des personnes d’autres disciplines que la vôtre ?
S.P. : Le troisième membre du projet, le Professeur David Fidock, du département d’immunologie et microbiologie de l’Université Columbia à New York, est un expert des manipulations génétiques sur les parasites. Il est partie prenante du projet, et est très intrigué par ce qui se passe ici !
 
L.C. : Quelles seront les retombées de votre projet pour la société ?
S.P. : Dans le contexte actuel d’un risque de propagation de parasites asiatiques multi-résistants à l’ensemble des zones impaludées, ce projet va contribuer à mieux comprendre comment les parasites s’adaptent à des modifications des pressions médicamenteuses. Ceci permettra de mieux envisager ce qui peut se passer pour d’autres antipaludiques.
L.M. : La chloroquine fait partie d’une famille de molécule très large, dont certaines sont utilisées aujourd’hui dans d’autres régions pour traiter le paludisme. Les résultats obtenus permettront également de faire un retour d’expérience qui pourra potentiellement servir dans ces cas là, mais aussi pour le développement de nouvelles molécules antipaludiques.
 
L.C. : Comment percevez-vous la plus-value du CEBA ?
S.P. : Nous nous inscrivons dans l’axe « santé et biodiversité » du CEBA, cependant nous sommes conscients que nous n’avons pas une approche d’écologie « pure ». Si la plupart des chercheurs cherchent à mieux connaître la biodiversité dans une optique de préservation, nous nous situons plutôt dans une optique d’élimination ! Néanmoins, il existe une certaine similarité de démarche dans les études pour comprendre l’évolution des populations, dans les techniques et la façon de réfléchir et d’analyser, que l’échelle soit microscopique ou non. Le CEBA nous permet ainsi d’échanger avec d’autres chercheurs et de créer des connexions que nous n’aurions pas forcément réalisées sans.

Pour plus d’informations, vous pouvez consulter les courtes vidéo produites par l’IPG dans le cadre du programme STRonGer****:

Paludisme et résistance aux traitements
A la recherche de nouvelles molécules

 Frottis P. falciparumFrottis Plasmodium falciparum © IPG

Aide mémoire :
*Paludisme : « Le paludisme est une maladie qui peut être mortelle. Elle est dû à des parasites du genre Plasmodium transmis d’une personne à une autre par des piqûres de moustiques Anopheles infectés, appelés «vecteurs du paludisme», qui piquent principalement entre le crépuscule et le petit matin ». (Organisation Mondiale de la Santé)
**Il y a 3 espèces de parasites pouvant causer un paludisme en Guyane : Plasmodium falciparum, Plasmodium vivax et P. malariae. P. vivax est l’espèce majoritairement diagnostiquée en Guyane (70%), P. falciparum est la plus dangereuse et P. malariae est très rare.
***Mutation génétique : Modification de l’information génétique dans le génome d’une cellule ou d’un parasite.
****Programme STRonGer : Consortium de recherches transdisciplinaires sur les maladies infectieuses et émergentes, coordonné par l’IPG