Entretien avec Antoine Fouquet, chercheur en Herpétologie au CNRS Guyane : le projet CEBA « MUsTArd »

MUsTARd (Gene flow and riverine barriers in the Guiana shield : a multitaxon test across the Oyapock River) est un projet sélectionné lors de l’appel à projet annuel du CEBA 2014.

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LabEx CEBA : Quel a été votre parcours ?
Antoine Fouquet : J’ai fait une thèse en Nouvelle-Zélande sur la diversité et l’histoire évolutive des amphibiens du Plateau des Guyanes. Puis j’ai eu l’opportunité d’être ATER (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche) à l’Université de Provence à Marseille. Au cours de celui-ci, j’ai bénéficié d’un financement du programme Amazonie développé par le CNRS en Guyane en pilotant un projet sur la génétique des populations d’Adenomera andreae (espèce de grenouille) dans le bassin de l’Approuague dont la réserve des Nouragues (Station de recherche gérée par le CNRS Guyane). Après un post-doc au Brésil à l’Université de São Paulo principalement axé sur la biogéographie du genre Adenomera j’ai pu intégrer le CNRS Guyane en 2012.
 
L.C. : Quelle est votre thématique de recherche ?
A.F. : J’étudie la diversité et l’histoire évolutive de l’herpétofaune (amphibiens et reptiles) Amazonienne.
 
L.C. : Dans quelle question scientifique le projet MUsTARd s’inscrit-il ?
A.F. : Le projet cherche à tester l’influence des rivières sur la structuration des populations d’amphibiens, oiseaux et opilions, un processus qui a pu contribuer significativement à la diversification en Amazonie. L’hypothèse selon laquelle les rivières contribuent à la diversité phénoménale en Amazonie est assez ancienne. Jusqu’à présent les tentatives de tester cette hypothèse restent rares. De plus, les résultats obtenus sont assez mitigés mais ils proviennent quasi tous d’Amazonie centrale et occidentale où les rivières ont des cours très dynamiques. Les caractéristiques des rivières mais aussi celles des espèces étudiées peuvent déterminer si ces éléments essentiels du paysage amazonien constituent une barrière ou non.
 
L.C. : En quoi la Guyane est-elle un site d’exception pour l’ancrage de votre projet ?
A.F. : Les cours d’eau du plateau des Guyanes ont la particularité d’avoir une hydrologie stable c’est donc une région idéale pour tester l’hypothèse émise et l’influence des traits d’histoire de vie des espèces. Le site du projet sera donc le fleuve Oyapock, sur 6 points d’échantillonnages d’amont en aval. Nous verront ainsi si le flux de gène décroit avec l’augmentation de la largeur de la rivière et en fonction des caractéristiques des espèces. Par ailleurs, la Guyane est une région exceptionnellement bien préservée ce qui permet de s’affranchir de l’influence éventuelle d’aménagements et de perturbations sur les communautés, chose de plus en plus rare.
 
L.C. : En quoi ce projet est-il innovant pour la recherche sur la biodiversité terrestre tropicale ?
A.F. : La question est ancienne mais c’est la manière d’y répondre qui est ici innovante grâce à une approche mutli-taxa et l’utilisation du séquençage de nouvelle génération (NGS – aussi appelé séquençage haut débit : ensemble de méthodes produisant des millions de séquences pour chaque échantillon) qui n’ont jamais été employés auparavant pour répondre à la problématique.
 
L.C. : Le projet implique t-il des personnes d’autres disciplines que la votre ?
A.F. : Des équipes internationales participent au projet : des collègues de l’Université du Mississipi participeront à la production des données, un chercheur Argentin, Luciano Naka de l’Université Fédérale de Pernambouco au Brésil participera à l’échantillonnage et à l’analyse des données. Un collègue du Muséum National d’Histoire Naturelle participera au traitement des données de NGS. L’équipe EDB (Evolution et Diversité Biologique) qui fait partie du CEBA est aussi représentée avec Jérôme Murienne pour la partie Opilion et Jean-Pierre Vacher (PhD) pour la partie amphibien.
 
L.C. : Quelles seront les retombées de votre projet pour la société ?
A.F. : Le projet permettra d’enrichir la connaissance fondamentale sur le processus de spéciation en Amazonie et le rôle qu’ont et jouent encore les rivières. Indirectement, il pourrait fournir des éléments pour juger de l’impact d’éventuels aménagements hydrologiques ; ce qui est un enjeu important dans la région.
 
L.C. : Comment percevez-vous la plus-value du CEBA ?
A.F. : Le projet aurait difficilement pu être financé sans le LabEx CEBA, qui a aussi été à l’origine du rapprochement des initiateurs du projet (Antoine Fouquet, Jérôme Murienne, Luciano Naka). Le CEBA a donc permis au projet de voir le jour. L’équipe EDB a acquis aussi une expertise en matière de NGS qui est nécessaire au projet, la collaboration s’est donc faite naturellement au sein du CEBA. Les ramifications de ce projet vont aussi complémenter les projets stratégiques, plus ambitieux, du CEBA. Le CEBA joue aussi un rôle de facilitateur dans les démarches auprès du Parc Amazonien de Guyane sur les questions d’Accès aux ressources génétiques et Partage juste et équitable des Avantages liés à leur utilisation (APA), une partie de l’échantillonnage devant avoir lieu au sein du Parc.